Note liminaire de Christine
Cet article s’inscrit dans un triptyque intitulé Drone Wars.
Le premier volet, L’attaque des drones ou le harcèlement low cost, explorait le parallèle entre la guerre moderne et le harcèlement psychologique : une usure à bas bruit, sans missiles ni rafales, mais tout aussi destructrice.Voici le deuxième volet, une enquête locale consacrée aux passe-droits : quand les règles ne s’appliquent pas de la même manière selon que vous êtes un individu isolé ou une institution protégée.
Un troisième texte viendra conclure ce cycle.
Introduction
Je suis nageuse de longue distance. Mon terrain d’entraînement, c’est la mer à Toulon. Une rade magnifique… mais hautement militarisée. Entre les bases navales, les zones protégées et les trajectoires imposées, nager ici n’a rien d’anodin.
Il m’arrive parfois d’approcher les limites de ces zones interdites. Et comme tout nageur en eau libre, il peut arriver de se tromper, surtout quand l’orientation est compliquée — ou subtilement faussée par la Gendarmerie maritime.
C’est ainsi qu’un jour, on m’a rappelée à l’ordre : “zone militaire interdite”. J’étais seule, avec mon maillot, mes lunettes et mes bras comme seuls moteurs. Rien d’un espion. Mais ça n’a pas suffi : j’étais suspecte par défaut.
Et pourtant, quelques semaines plus tard, je tombe sur une photo aérienne publiée fièrement par un club local. La piscine du Port Marchand vue du ciel. Un angle impossible depuis le sol. En plein secteur sensible. Un vol de drone, très probablement. Et cette fois ? Silence radio. Aucun rappel à l’ordre. Pas même une remarque.
Deux poids, deux mesures
Moi : une nageuse isolée, sortie de l’eau comme on sort d’un couloir interdit, sermonnée pour quelques centaines de mètres de trop.
Eux : une institution locale, qui publie en toute tranquillité une vue aérienne prise au-dessus d’une zone classée sensible.
Là où l’individu est traité comme un intrus, le collectif institutionnel bénéficie de la présomption de légitimité.
Comme si l’acte n’avait pas la même gravité selon la main qui le commet.
La loi devient alors un outil de tri social : lourde pour ceux qui n’ont pas d’appui, légère comme une plume pour ceux qui ont un logo et des subventions.
On dit souvent que la République est une et indivisible. Mais ici, elle a deux visages.
Le premier, rigide, qui se dresse face au citoyen seul.
Le second, complaisant, qui détourne le regard quand l’infraction est commise par un acteur “reconnu”.
Et c’est cette duplicité qui use le plus : non pas l’interdit en lui-même, mais son application variable.
Ce n’est pas la règle que l’on reproche, mais la manière dont elle se plie selon l’identité de celui qui la transgresse.
Le privilège institutionnel
Le même cliché, publié par un particulier, aurait déclenché un rappel à l’ordre. Publié par un club, il récolte des likes.
Car lui, bénéficie d’une indulgence discrète, faite de réseaux et de connivences. L’étiquette “institution” agit comme un bouclier. Elle confère une légitimité par simple effet de manche.
Quand, ailleurs en Europe, on se demande s’il faut abattre des drones au-dessus des aéroports, ici on s’en sert pour illustrer des posts Facebook.
Là où on m’a sorti la carte “zone militaire interdite” comme un couperet, eux ont pu survoler cette même zone et transformer l’image en outil de communication.
Ce qui est sanctionné chez l’un devient “valorisé” chez l’autre.
C’est cela, un passe-droit : une règle qui s’applique avec toute sa rigueur quand on est isolé, et qui s’évapore dès qu’un acteur reconnu, subventionné ou “partenaire” la contourne.
La République aime se dire égale. En réalité, elle pratique une gymnastique de privilèges.
Lourde comme un boulet pour certains, légère comme une plume pour d’autres.
« À Toulon, les passe-droits volent plus haut que les drones. Et retombent moins souvent. »
La banalisation de l’intrusion
Ce qui inquiète le plus, ce n’est pas seulement l’injustice. C’est la normalisation qui l’accompagne.
On publie une vue aérienne d’une zone sensible comme on publierait une photo de groupe après un barbecue. Pas d’explication, pas d’autorisation mentionnée, pas de question posée.
À force de banaliser l’intrusion, on fabrique un réflexe collectif : voir, montrer, exposer… sans se demander si c’est légal, ou même légitime.
La surveillance par drone devient un décor. On l’intègre, on l’accepte, on l’applaudit même, quand elle est associée à un compte officiel.
Et c’est ainsi que l’exception devient habitude.
Et que l’habitude, à son tour, devient loi officieuse.
Le danger, ce n’est pas seulement que certains s’arrogent des privilèges.
C’est que tout le monde finisse par trouver ça “normal”.
Ce qui choque aujourd’hui devient banal demain. Et ce qui est banal demain, devient légal après-demain.
La Chute
Moi, pour quelques brasses, j’étais une menace.
Eux, pour un vol de drone, sont des communicants.
Deux poids, deux mesures. Toujours les mêmes.
Mais ce serait une erreur de croire que tout cela ne relève que du ridicule ou du privilège local. Car ailleurs, les drones ne se contentent pas de faire de jolies photos. Ils espionnent, ils fatiguent, ils sabotent.
Un drone dans les pales d’un hélicoptère, un drone dans le réacteur d’un avion… et la plaisanterie prend une autre dimension.
Après les passe-droits, voici venir les armes. Et dans cette guerre miniature, le low cost n’empêche pas le coût humain. C’est ce que montrera le troisième volet de ce triptyque : Drone Wars III – Les armes du futur proche.
« Vol au-dessus d’un nid de coucous : à Toulon pas besoin d’asile, on a déjà les institutions. »
📢 Abonne-toi pour me suivre, c’est gratuit :
📌 Instagram 📌 Twitter (X) 📌 Youtube 📌 Mes articles 📌 Parce que je ne vis ni d’amour ni d’eau fraîche