đ La cantine, la pomme pourrie et la compote administrative
Chronique dâune exclusion ordinaire
Note liminaire
Ce texte nâest pas un rĂšglement de comptes, mais une radiographie.
Celle dâun petit incident banal en apparence â une dĂ©sinscription de cantine â qui rĂ©vĂšle une mĂ©canique bien plus vaste : celle dâune sociĂ©tĂ© oĂč lâerreur devient systĂšme.
Duchesse, tĂ©moin fĂ©lin de nos absurditĂ©s, sâest invitĂ©e dans lâenquĂȘte.
I â Lâincident
Le 12 mai 2025, jâai effectuĂ© lâinscription de mon fils Ă la cantine scolaire pour lâannĂ©e 2025-2026, directement sur le Portail Familles de la Ville de Toulon.
Quatre jours de repas par semaine, du lundi au vendredi, hors mercredi.
LâopĂ©ration sâest dĂ©roulĂ©e sans le moindre message dâerreur : jâai mĂȘme reçu la confirmation visuelle que tout Ă©tait validĂ©.
Quelques jours plus tard, en me reconnectant pour vĂ©rifier, jâai dĂ©couvert que mon fils⊠nâĂ©tait plus inscrit.
Aucune trace. Pas un message dâavertissement. Disparition nette.
Jâai aussitĂŽt refait la manipulation, convaincue dâune mauvaise manĆuvre de leur part.
Cette fois encore, tout semblait en ordre.
Par prudence â et par expĂ©rience â jâai fait des captures dâĂ©cran et tĂ©lĂ©chargĂ© le PDF dĂ©taillĂ© du calendrier de son inscription.
Le 3 novembre, un agent de cantine mâappelle :
« Madame, votre fils nâest pas inscrit. Aujourdâhui on le garde Ă la cantine, mais demain on ne pourra pas. »
Venant de comprendre la situation, je saute sur lâoccasion pour lui dire que jâai les preuves.
Lui sâexcuse, dit quâil faut que je voie avec le directeur.
Jâenvoie donc mes documents â impressions dâĂ©cran et PDF de rĂ©servations â au directeur et Ă la mairie.
Le directeur de lâĂ©cole me rĂ©pond, comme Ă son habitude, dâune maniĂšre laconique : il âtransmettra Ă la mairieâ.
Aucune prise de position, aucune solution immédiate.
Ce matin-là , Ethan a été le seul enfant refusé à la cantine.
Pas de panne, pas de bug collectif : un refus singulier, soigneusement isolé.
#LesMaximesDeDuchesse đŸ
« En France, rien nâest plus stable quâun dysfonctionnement public.
Il survit à tous les remaniements. »
â Duchesse, griffes affĂ»tĂ©es dans une patte de velours.
Entre les lignes, un soupir de velours.
II â La mĂ©canique du dĂ©ni
AprĂšs lâincident du 3 novembre, jâai transmis lâensemble des preuves dâinscription Ă la mairie et Ă la direction de lâĂ©cole.
Le directeur mâa rĂ©pondu par une phrase laconique : « Je transmets Ă la mairie. » Rien de plus.
Le lendemain, mon fils a été accueilli normalement à la cantine.
Rien ne permet dâaffirmer quâil sâagissait dâun simple dysfonctionnement.
Mais quand les erreurs se rĂ©pĂštent, quâelles visent toujours les mĂȘmes et quâaucune institution ne cherche Ă les expliquer, il devient lĂ©gitime dâinterroger la nature du hasard.
#LesMaximesDeDuchesse đŸ
« En France, on ne corrige pas les erreurs : on les laisse sâĂ©vaporer. »
â Duchesse, griffes affĂ»tĂ©es dans une patte de velours.
Spécialiste malgré elle du malheureux concours de circonstances hasardeuses.
III â La pomme pourrie
Dans nâimporte quel service, il suffit dâun maillon faible pour que toute la chaĂźne sâenraye.
Un oubli, un clic mal placé, une consigne mal comprise : à ce stade, tout peut arriver.
Mais quand ce sont toujours les mĂȘmes dossiers qui se dĂ©rĂšglent, le hasard nâa plus grand-chose dâinnocent.
Depuis des années, les institutions françaises semblent avoir intégré une rÚgle tacite : protéger la faute plutÎt que celui qui la subit.
Aucune mauvaise intention déclarée, juste un réflexe collectif : couvrir le collÚgue, défendre la procédure, éviter le scandale.
Câest ainsi que la faute individuelle devient faute partagĂ©e, puis norme silencieuse â dans une dilution algorithmique.
Les courriers se renvoient, les responsabilitĂ©s se diluent, et plus personne ne sait â ou ne veut savoir â dâoĂč vient rĂ©ellement le problĂšme.
Lâadministration adore lâidĂ©e du bug : il rassure tout le monde, il Ă©vite de nommer.
Mon fils, lui, nâest quâun nom sur une ligne ; une case quâon a dĂ©cochĂ©e, puis recochĂ©e sans explication.
Une micro-anomalie qui en dit long sur la façon dont un systÚme tout entier préfÚre bricoler plutÎt que reconnaßtre.
#LesMaximesDeDuchesse đŸ
« Une seule pomme pourrie dans le panier, et câest tout le panier qui est pourri.
En France, on appelle ça de la compote administrative. »
â Duchesse, griffes affĂ»tĂ©es dans une patte de velours.
Qui nâaime pas quâon lui serve de la compote avariĂ©e.
IV â La tragĂ©die française
Ce qui pourrait passer ailleurs pour une anomalie isolée devient ici un art national.
La France ne manque pas de talents ; elle a celui, singulier, de transformer chaque dysfonctionnement en tradition.
Une tradition oĂč lâon sâĂ©tonne de lâabsurde, chaque jour un peu plus grandissant, sans jamais le corriger ; oĂč lâon disserte sur la rĂ©forme pendant que le dossier dort au fond dâun tiroir.
Chaque service a son vocabulaire : âincident techniqueâ, âralentissement temporaireâ, âsurcharge du systĂšmeâ.
Autant de formules destinĂ©es Ă camoufler ce qui, en vĂ©ritĂ©, relĂšve dâune culture : celle du dĂ©ni tranquille.
Lâadministration française nâaime pas les erreurs ; elle les cultive, les protĂšge, et finit par les dĂ©corer dâun tampon.
Le citoyen, lui, apprend Ă composer : remplir, patienter, relancer.
Il se dĂ©couvre des vertus dâendurance dignes dâun marathonien administratif.
Câest le prix de la citoyennetĂ© : survivre Ă la procĂ©dure.
DerriĂšre chaque retard, chaque dossier âperdu puis retrouvĂ©â, se cache un principe vieux comme la monarchie : ne jamais reconnaĂźtre sa faute.
On sâindigne, on compatit, puis on recommence.
Câest la technique du pourrissement. Le retard : une spĂ©cialitĂ© bien française.
Et lorsque quelquâun pointe lâincohĂ©rence, on lâaccuse dâexagĂ©rer.Lâabsurde devient norme, la norme devient loi, et la loi finit par justifier lâabsurde.
Ce nâest pas une tragĂ©die grecque, mais une tragĂ©die française :
celle dâun pays qui aime les idĂ©aux, mais dĂ©teste les remises en question.
OĂč lâon se fĂ©licite de la perfection des procĂ©dures, mĂȘme quand elles Ă©touffent le rĂ©el.
Et oĂč la vĂ©ritĂ©, quand elle finit par surgir, trouve toujours un parapheur pour sây glisser.
#LesMaximesDeDuchesse đŸ
« On appelle ça le génie français.
Ce mĂ©lange unique de bureaucratie, de vanitĂ© et dâart lyrique appliquĂ© Ă la paperasse. »
â Duchesse, griffes affĂ»tĂ©es dans une patte de velours.
Qui sait que quand câest flou, câest quâil y a un loup.
V â La compote administrative
Il ne reste jamais grand-chose dâun scandale administratif.
Avec le temps, les mails se perdent, les interlocuteurs changent, et la mĂ©moire collective sâefface Ă la vitesse dâune mise Ă jour.
Ce qui Ă©tait une faute devient un âincident closâ.
Et ceux qui lâont subie apprennent Ă passer Ă autre chose â non par oubli, mais par fatigue.
Le pouvoir du systĂšme français nâest pas dans la force : il est dans lâusure.
Il épuise, il dilue, il normalise.
à la fin, tout finit par ressembler à une purée tiÚde : lisse, inoffensive, sans aspérités.
La faute, la responsabilitĂ©, la vĂ©ritĂ© â tout y passe.
Câest ainsi quâon fabrique la compote administrative : un mĂ©lange de procĂ©dures mixĂ©es, de silences bien remuĂ©s et de politesse tiĂšde.
Une recette servie depuis des dĂ©cennies, toujours au nom du âservice publicâ, quand ce nâest pas au nom de âlâordre publicâ.
Je nâai plus besoin dâexpliquer.
Les faits suffisent, les traces parlent dâelles-mĂȘmes.
La France, dans son infinie capacitĂ© Ă se protĂ©ger dâelle-mĂȘme, mâa offert un cas dâĂ©cole :
celui dâun pays qui, par peur de se tromper, prĂ©fĂšre sâenliser.
Mais il y a toujours une part de lumiÚre dans la lucidité.
Parce quâĂ force de voir le systĂšme nu, on cesse dâen ĂȘtre la victime : on devient tĂ©moin.Et parfois, le tĂ©moin griffe.
#LesMaximesDeDuchesse đŸ
« La France a du gĂ©nie quand il sâagit de faire chier le monde. »
â Duchesse, griffes affĂ»tĂ©es dans une patte de velours.
Qui vous renvoie votre reflet, avec style.
Note de fin
La République se juge à la façon dont elle traite les plus petits.
Et parfois, il suffit dâun plateau de cantine pour rĂ©vĂ©ler tout un systĂšme.
Le reste nâest quâhabitude, dĂ©ni et tampons.
Jusquâau jour oĂč les tampons se fissurent.
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