📖 La République du chaos – Petit traité de l’ordre par le désordre
🎥 Cet article en version vidéo 🫴 https://youtu.be/J6AJEKqDjQA
Introduction
Pendant que les kalachnikovs crépitent autour des murs de prison, la République tremble. Enfin, c’est ce qu’elle voudrait nous faire croire. Car derrière les vitres fumées des ministères, on ne tremble pas : on calcule. On laisse faire. On regarde le désordre s’étendre — non pas comme une menace, mais comme un levier.
Bienvenue dans la République du chaos. Une République qui ne gouverne plus, mais orchestre. Qui ne protège plus, mais observe. Qui ne punit plus équitablement, mais stratégiquement. D’un côté, on promet des prisons suréquipées, de l’autre, on ne remplace même plus les matons. D’un côté, on agite le spectre du cartel, de l’autre, on libère Pierre Palmade entre deux journaux TV. Et quand le peuple panique, on brandit la solution miracle : toujours plus de caméras, de drones, de justice automatisée… sans jamais se demander pourquoi tout s’effondre.
C’est l’art du désordre utile. Du chaos rentable. De la peur comme matrice politique.
Le chaos utile : une méthode, pas un accident
Il faut être naïf pour croire que l’État est submergé. Il est fatigué, oui. Affaibli, peut-être. Mais dépassé, non. Il connaît le terrain, les foyers de tension, les marges à surveiller, les groupes dormants. Il sait très bien ce qu’il laisse faire, et surtout ce qu’il ne laisse jamais passer.
Quand des prisons sont attaquées, que des cocktails Molotov embrasent les murs de la République, ce n’est pas une surprise. C’est un scénario toléré. Laisser monter le désordre, c’est créer un appel d’air pour une réponse musclée — et une acceptation sociale qu’on n’aurait jamais obtenue à froid.
Depuis des années, les mêmes logiques sont à l’œuvre :
On coupe dans les effectifs de police, puis on déplore la hausse de la délinquance.
On laisse les zones de non-droit se consolider, puis on évoque l’envoi de drones pour "reprendre le contrôle".
On ferme les yeux sur certaines infiltrations, puis on crie au complot étranger.
Tout cela ne tombe pas du ciel. C’est la stratégie du terreau, où l’on cultive le chaos pour mieux récolter la peur.
Et la peur, elle, justifie tout : les lois d’exception, la surveillance, la répression. On ne gouverne plus par projet. On gouverne par choc.
La prison comme fantasme républicain
C’est devenu un poncif politique : « Il faut plus de fermeté, plus de prisons, plus de sécurité. » Le problème, c’est que la fermeté coûte cher. Et la République, en ce moment, radine.
Chaque année, les rapports se succèdent :
- Établissements saturés jusqu’à devoir installer des matelas au sol, 
- Personnel en sous-effectif chronique, 
- Recrutement en berne, car qui veut aujourd’hui risquer sa peau pour un salaire de misère et du mépris hiérarchique ? 
- Populations locales hostiles à toute nouvelle prison, parce qu’une centrale à côté de chez soi fait chuter le prix du mètre carré. 
Et pourtant, que nous vend-on à la télévision ? Des prisons futuristes, avec IA intégrée, surveillance totale, drones en maraude, murs infranchissables. Un mélange de Fort Boyard et de Blade Runner.
Mais soyons sérieux : on va les construire où, ces prisons ? Avec quels agents ? Avec quelles finances publiques, alors même qu’on peine à réparer une fuite dans un commissariat de quartier ?
On ne construit pas un État fort avec des PowerPoints. Et on ne réforme pas la justice avec des effets d’annonce. Ce qui est à l’œuvre ici, ce n’est pas un renforcement de la République. C’est une mutation.
Une bascule lente mais claire : de la prison physique vers la prison numérique.
On enferme moins, mais on trace plus. On surveille, on profile, on anticipe. Le bracelet électronique, la géolocalisation permanente, les scores de dangerosité : voilà le vrai futur du contrôle.
Et pendant que les ministres parlent de béton, ils programment du code.
Mexicanisation, corsisation… ou effondrement gravitationnel ?
Il fallait bien un mot qui claque pour les plateaux télé. Ce fut « mexicanisation ». Sorte de joker médiatique qui permet de parler de kalachnikovs et de cartels en boucle, sans jamais aborder les racines. C’est spectaculaire, ça rassure les éditorialistes : on nomme une menace externe, étrangère, presque exotique.
Mais ce mot est un piège. Il désigne la surface, pas la structure.
Parce qu’en vérité, ce qui s’installe, ce n’est pas le Mexique. C’est la France, version trou noir.
Un État qui s’effondre sur lui-même. Qui concentre tous les signaux de la violence et de la peur… sans jamais produire ni lumière, ni vérité.
C’est ce qu’on appelle, en astrophysique, un effondrement gravitationnel. Une étoile en fin de vie cesse de rayonner. Elle implose, attirée par son propre poids, et devient un trou noir. Plus elle a brillé, plus l’implosion est dense, brutale, définitive.
C’est exactement ce que fait aujourd’hui la République française.
Elle n’irradie plus. Elle absorbe. Elle n’inspire plus. Elle comprime.
Et tout ce qui s’en approche – colère sociale, vérité judiciaire, liberté individuelle – est aspiré dans le silence.
Ce silence, justement, est au cœur du morceau qui traverse cet article :
“Hello darkness, my old friend…”
C’est la première phrase de The Sound of Silence, écrite par Paul Simon en 1964, popularisée par Simon & Garfunkel, puis réinterprétée avec puissance par Disturbed en 2015.
Cette phrase n’est pas anodine. C’est la rencontre intime avec un mal ancien, familier, indélogeable.
Dans notre cas, le “darkness”, c’est ce chaos contrôlé, ce désordre devenu familier du pouvoir, qu’il retrouve chaque fois qu’il veut reprendre la main.
“Hello darkness…” Ce n’est pas une peur, c’est une habitude. Une méthode. Une vieille relation toxique qu’on n’a jamais vraiment quittée.
Et dans cette ambiance de repli silencieux, le pouvoir se réinvente. Il se reconcentre. Il ne partage plus. Il s'effondre vers l’intérieur — et fait de ce mouvement de rétraction sa nouvelle forme de souveraineté.
L’affaire Palmade : gravité variable dans un champ de ruines
Au centre du trou noir républicain, il y a une matière étrange qu’on appelle justice sélective. Une gravité fluctuante, une morale élastique.
Ce n’est pas que les lois sont mal écrites — c’est qu’elles ne pèsent pas le même poids selon qui vous êtes.
D’un côté, tu as des jeunes qui croupissent des mois en détention provisoire pour un vol à l’arraché ou une rixe mal tournée. De l’autre, Pierre Palmade, acteur désintégré par la cocaïne, responsable d’un accident dramatique, qui sort de prison à peine entré.
La République du chaos n’a pas de pitié, sauf pour ceux qui partagent la loge VIP de son effondrement.
On dira que c’est la procédure, que la détention n’était pas justifiée, que les garanties étaient là.
Mais dans l’arrière-boutique, chacun sait que le vrai critère, c’est le réseau, le nom, l’image.
Et surtout : la capacité à ne pas nuire à la République en ruine.
Parce que Palmade, c’est une histoire de pathologie, pas de politique. Une douleur personnelle, pas une menace systémique. Autrement dit : parfaitement compatible avec l’oubli.
Pendant qu’on libère l’icône brisée, on construit un narratif de rigueur pour les autres. Les “vrais” méchants. Ceux qui attaquent les prisons, brûlent des bagnoles, crient trop fort dans les rues.
La République du chaos trie ses déchets. Elle recycle les ruinés célèbres, mais incinère les anonymes en silence.
Et pendant ce temps-là, “the words of the prophets are written on the subway walls…” — mais personne ne les lit. Trop occupé à commenter la sortie de Palmade sur BFM.
Caméras, drones, bracelets : bienvenue dans la République algorithmique
Pendant qu’on nous parle de prisons suréquipées et de hauts murs infranchissables, le vrai basculement se fait ailleurs. Il est plus discret, plus propre, presque invisible. Il se joue dans les data centers, les tableaux de bord des ministères, les plateformes de sous-traitance sécuritaire.
On ne construit plus des prisons. On construit des systèmes.
Le contrôle ne s’exerce plus seulement entre quatre murs, mais dans l’air, dans les flux, dans les objets connectés.
- Bracelets électroniques pour suivre les corps. 
- Drones de surveillance pour quadriller les quartiers. 
- Logiciels prédictifs pour évaluer la “dangerosité”. 
- Caméras augmentées, bientôt dotées de reconnaissance faciale, déjà capables de suivre une silhouette d’un point A à un point B, sans que personne ne bouge un doigt. 
Ce que l’État ne peut plus faire avec des agents, il le délègue à la machine.
Et ce qu’il ne peut plus surveiller humainement, il le trace, l’évalue, le note, le filtre. On appelle ça la modernisation du contrôle.
Mais c’est une mutation bien plus profonde : la criminalité devient un fichier, la peine devient un signal GPS, la justice devient une ligne de code. Tout cela au nom de l’efficacité. Mais aussi — et surtout — pour pallier le vide humain.
On ne remplace plus les surveillants ? Pas grave, un capteur fera l’affaire. On n’a plus de magistrats ? Un algorithme peut prédire les récidives.
La République algorithmique ne débat pas. Elle exécute. Elle ne protège plus au nom du droit, mais au nom de la donnée. Elle n’enferme plus, elle suit. Et parfois, elle neutralise.
Et pendant que tout cela se met en place, le chaos continue de faire diversion.
On te montre les flammes d’une voiture incendiée, pendant qu’on installe une caméra intelligente au-dessus du pas de ta porte.
C’est ça, la magie du désordre utile. Il ouvre la voie au contrôle parfait.
Conclusion : Silence gravitationnel
Il ne s’agit plus de dérives. Ni d’accidents. Ni même d’impuissance.
Ce que nous observons, c’est un changement d’état. Une transformation lente, silencieuse, mais irréversible.
La République ne dysfonctionne pas : elle s’effondre sur elle-même.
Elle entre dans son effondrement gravitationnel, comme une étoile morte qui devient trou noir. Elle absorbe tout : la violence, la contestation, la légitimité, les discours, les scandales. Elle aspire l’attention, détourne les regards, déforme les réalités. Et au centre, plus rien. Juste un noyau froid, opaque, compact : le contrôle.
Le chaos n’est pas une menace. C’est un outil.
Il est produit, toléré, orchestré pour permettre le basculement, d’une République sociale à une République carcérale, d’une démocratie de la parole à une gouvernance par les capteurs. De la politique à l’algorithme.
Et pendant que la lumière disparaît, que les droits s’éteignent un à un, la société tourne en orbite autour du vide, fascinée par les images, sidérée par les faits divers, anesthésiée par l’info continue.
“And the people bowed and prayed / To the neon god they made…” La République du chaos n’a plus besoin de foi. Elle a des écrans.
“And the sign flashed out its warning / In the words that it was forming / And the sign said…” Silence.
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